J’suis bourrée tous les jours depuis si longtemps, et si je me rendais compte tout d’un coup que je me mens ?
Première terrasse d’été dans la sobriété. Vous vous souvenez quand je vous disais que ce n’est pas cette configuration que je redoutais ? Pas de pinte au bar, facile, je le ferai. Je rejoins mes amis, fidèles camarades de biture. Ceux qui répondent toujours présent et qui ont souvent du mal à s’arrêter. Je le sais, notre relation ne se résume pas à la bière, mais je le sais, elle en est l’un des protagonistes principaux. Ça et les discussions profondes sur la politique, le déterminisme, l’alcool, les drogues et les récits d’existences difficiles. Ça et l’angoisse du quotidien. Ça et cette saleté de travail social. Ça et l’intellectualisation de tout, tout le temps, mais surtout de nos émotions. Tu m’étonnes que la bière soit notre invitée de choix.
Je ne l’ai pas vraiment sentie venir, la boule au ventre. J’me suis simplement vue doucement décrocher. Décrocher des conversations. Ne pas sentir d’intérêt particulier dans le moment. Ça arrive, probablement plus souvent que je ne le ressens. Mais d’ordinaire il y a la bière qui prend les devants. C’est au détour d’une discussion sur La Boétie que mon regard s’est perdu sur la terrasse. Regarder les gens, je peux y passer des heures entières. Sans rien faire d’autre que les observer bouger, parler, boire, manger, interagir. Repérer leurs petits secrets. Les micro-signaux qu’ils envoient sans même s’en apercevoir. Être là, avec eux, en restant bien à l’écart. Bien invisible. Sur cette terrasse, j’ai trouvé beaucoup de filles très belles, beaucoup de garçons insignifiants. Remarqué ceux qui voulaient plaire, celles qui étaient là par défaut. J’ai senti de belles histoires d’amitié, des amourettes passagères. J’ai vu des duos improbables et des groupes traversés par une symbiose palpable.
Et puis j’ai vu la bière. Partout, sur chaque table, dans chaque main. J’ai cherché en vain un·e camarade de bière sans alcool, d’eau ou de soda. Mais je n’ai trouvé que des bières. Des blondes, des brunes, des blanches, des rouges. Plus ou moins chaudes ou mousseuses. Toutes bien rondes dans leurs grands verres aux courbes chaleureuses. Combien de ces gens sont là pour l’ivresse ? Combien sont là pour le moment ? Combien sont capables de répondre à cette question ?
Et moi, je suis là pour quoi, exactement ?
J’adore les retours de bar avec un coup dans le nez. Le vent chaud sur le visage. Le corps à la fois lourd et léger. Suffisamment présent pour que le sentir me sécurise. Suffisamment léger pour oublier tous les recoins contractés, noués… toutes les émotions réprimées. Ces trajets à sourire pour rien en regardant au loin, à inviter une légère nostalgie avec le son adéquat dans les oreilles. C’est souvent dans ces moments que je me dis que finalement, la vie est belle. Avant de réangoisser le lendemain. Mais ce soir il n’y a rien pour combler les vides ou vider les trop pleins. Ma marche est soutenue, rapide, il faut vite que je rentre chez moi. Me mettre au lit, dormir, pour vite passer au lendemain. Pourtant ce n’était pas une vraie épreuve, je n’ai eu aucune envie irrépressible à combattre, aucune bataille interne à gagner, ça a été. Alors pourquoi cette boule au ventre ne fait que grandir, sans s’arrêter ?
Et si demain je réalisais que je n’y arrive pas ? Que sobre, je n’arrive pas à assumer ma vie, mes relations, mes choix ? Et si je me rendais compte que je ne suis pas celle que je crois ? Que je suis une merde, comme l’a dit la colère de mon ex, comme je le sens parfois, avant d’en boire une autre, mais c’est la dernière, cette fois ! Et si je n’aimais pas vraiment mon mec, et si mon travail était trop violent, et si mes démons étaient trop puissants, et si le monde n’était que noir, et si j’étais remplaçable, futile, moche et juste instable ? Et si je pensais que les thérapies et les stages m’avaient fait apprivoiser mes traumatismes d’enfance, alors que c’est simplement la boisson qui les avait rendus plus supportables ? Et si tout ce que je croyais vrai s’écroulait, ce soir, demain et tous les jours suivants ?
Je crois que ça y est, je rentre dans le dur. Après seulement trois jours d’arrêt, 72 petites heures de sobriété. J’écris ce texte le 4 juillet à 15h43 et j’ai envie de boire. Alors à la place, je vais pleurer, me lever et faire le ménage. Ce soir je verrai mon amour et je me souviendrai combien je l’aime. Demain je continuerai à apprivoiser les tornades qui ébranlent mon système.
merci d’écrire si bien ce que je ressens
Continue, juste continue. D'écrire, de nous emmener avec toi et bien sur de vivre ce chemin personnel. Il ni a que de bon a la clé ✨️